Complainte Non! tu ne m’aimes pas Tu m’as prise de force Ce n’est pas là ma noce Non! tu ne m’aimes pas Mon père m’a vendue Je vis mon désespoir Comme morte pendue Je traîne dans le noir Non! tu ne m’aimes pas Tu me bats et m’enfermes Je dois suivre tes pas Et ma bouche se ferme Je subis tes étreintes Car je ne t’aime pas Mon âme s’est éteinte Lorsque tu m’épousas J’erre dans la maison Triste désespérance Murée dans ta prison Loin de ma libre enfance Qu’au moins je sois stérile Mon ventre dise : non! Que tes ardeurs viriles Ne laissent pas de nom! __________ Le printemps (chanson) En ce matin où l’air est doux, Le printemps chante dans tes yeux. Il s’attarde tout près de nous. Ce printemps-là, c’est pour nous deux! Avons-nous dormi tout l’hiver? Qu’y a-t-il de plus beau qu’hier? C’est le soleil qui prend son temps Et meurt un peu plus lentement. Pourtant tout était engourdi. Et puis voilà que tout frémit. La terre vibre sous la lumière. Des étoiles dansent dans l’air. Les oiseaux sont à leur plaisir. Le printemps les fait revenir. Dans les haies partout ils bâtissent Des nids d’amour où ils se glissent. La terre et l’eau font connaissance. Elle gémit sous ses caresses. Et on assiste à sa renaissance. Elle sort enfin de sa paresse. L’âme des arbres se réveille. Elle s’agite sous l’écorce. Le désir des hommes est pareil. Voilà qu’il retrouve sa force. Les rues se couvrent de rumeurs. Les passants jasent, de bonne humeur. Les fenêtres longtemps fermées, S’ouvrent aux odeurs qu’elles ont aimées. Même les maisons se souviennent! Voilà qu’enfin elles se dégèlent. Autour d’elles, des Vieux se promènent, Leurs têtes blanches font dentelles. Qu’y a-t-il donc là-bas dehors Qui nous attire et qui nous sort? Qu’est-ce donc que cette chaleur Qui nous fait tous batifoleurs? Et ces frissons qui nous parcourent, Comme un appel, comme une promesse, Tout nous entraîne à ces détours, Où nous flânons, pleins de jeunesse! Avons-nous dormi tout l’hiver, Qu’y a-t-il de plus beau qu’hier? C’est le soleil qui lentement Nous dit de prendre notre temps. __________ Vie Tu tombes Coeur Comme une étoile dans la neige Tu tombes Corps Comme un trou dans la pierre Tu te relèves Grêle Comme une ombre en plein ciel Tu te dresses Fier Comme une flamme au soleil __________ Ce qui nous manque Un tiède bonheur nous habite, Tout semble peint en noir et gris. Un détail, un rien nous irrite. C’est sans joie que souvent l’on rit. Dans la grisaille où l’on s’excite, Le goût amer d’un lourd souci, Une peine qui n’est pas dite, Taraudent nos cœurs insoumis. Les sornettes qu’on nous débite, Pour cacher ce qu’on nous a pris, Nous rendent tristes et nous dépitent. Ce qu’on cherche n’a pas de prix. La liberté que l’on évite, Dans nos horizons rétrécis, À bien d’autres pourtant profite, Et au monde qu’ils ont choisi. Quand le ciel est bas et morose, Le fleuve, sombre et grandiose, Gravement nous dit son ennui À ainsi porter le pays. __________ Nos mères Où vont, de bon matin, ces mères endimanchées? Ces femmes qu’un dur labeur lie à la maison? Elles vont au confesseur dire leurs péchés, Pour encore et encore en demander le pardon. Un bien jeune prêtre règne sur leur conscience, Et leur dit qu’au mari il faut donner plaisir, Au bon Dieu des âmes qui l’aiment et l’encensent, Ne pas tourner le dos à l’homme, à ses désirs. Pour qu’elles cèdent aux devoirs et obligations, Avec un corps usé, la santé qui vacille, Il leur refusera la sainte absolution, Si elles se refusent à grossir la famille. Malgré la fatigue, les nombreuses grossesses, Elles vont, révoltées, soumises, en désarroi, Retrouver le foyer, cause de leur détresse, Ce foyer qu’elles aiment et détestent à la fois. Prêtes à perdre la foi, des larmes plein le cœur, Plusieurs drames, dans leur vie répandent la guerre. Puis, elles se résignent à trouver du bonheur Dans tout ce malheur qu’elles finissent par taire. À peine mariées, leur jeunesse se perdit. Le pouvoir des curés et de leurs interdits, Cruels sermons semant dans l’esprit la misère, Fit, despotiquement, la douleur de nos mères. __________ Couleurs du monde Couleurs! Couleurs! Luxe de la nature Couleurs! Couleurs! Trésors de la culture! Le cœur, le sang, le Rouge. Crête fière du coq. Colère, feu qui bouge. Honte, secret qui choque. La paille, l’or, le Jaune. Calme plat du soleil. Œil du traître qui veille. Lâches cherchant l’aumône. Neige habillée de Blanc. Vierge pure qui glace. Maladie qui menace. Rage des océans. Ciel profond, Bleu et froid. Immense peur, émoi. Frayeur figée, effroi. Terreur au sang des rois. Gris, écorce du hêtre. Peuple maussade et morne. Triste comme on peut l’être. Saoul, d’ivresse sans borne. Vigueur du vieillard Vert. Fruits qui n’ont pas mûri. Douces grivoiseries. Langue qui nous libère. Dépression des sens, Noir. Ô lumière qui meurt! Trou, tombeau des mineurs Qu’on mène à l’abattoir. __________ Héros mythiques Grand Titan révolté contre le roi des dieux, Pour donner aux humains remède à leur faiblesse, Hardi, tu dérobas la puissance du feu. Hélas! tu fus puni pour ta noble prouesse. Cloué à ta montagne, avec ton foie qui saigne, Enchaîné et châtié par ce maître jaloux, Tu connais le secret mettant fin à son règne, Le moment où les hommes enfin vivront debout. Et toi, ange déchu, objet de calomnies, N’es-tu pas, toi aussi, un héros bienfaiteur? Contre un très puissant dieu, contre sa tyrannie, Porteur de lumière, grand revendicateur, Tout comme Prométhée, esprit rebelle et fier, Tu osas te dresser, ô noble Lucifer! _______________ La vie de l’arbre Chaque fibre, chaque nervure Courant sous l’écorce rugueuse Affleure comme une gerçure, Exprime son âme ligneuse. Ces torsions et ces noirs chaos, Blessures infligées à sa peau, Ne sont que des nœuds végétaux, Dessous enfouis en anneaux. Ils apparaissent au dehors Surgissant dans de faux décors, Alors que là-bas tout au fond, Dans le plus secret des horizons, Sous la lumière du moment, Gît l’axe immobile du Temps. Malgré les vents, malgré les feux, Et ce qui bouge sous nos yeux, La tempête jamais n’atteint Le cœur de l`être souverain. Là se rencontrent la prairie et la forêt. Et on ne distingue pas l’avant et l’après. Ainsi cet arbre qui se transforme et qui meurt Plutôt ne fait qu’enfoncer ses racines ailleurs. __________ Souvenir Dans l’odorante cuisine de mon enfance, Soufflaient les arômes d’agréables fumets. Le feu de bois nous couvrait tous de sa puissance. La nuit venue, doucement il se consumait. Dehors, une neige blanche éclairait le soir. Devant nous, des plats fumants ornaient les deux tables Et invitaient parents, frères et sœurs à s’asseoir. Nous éprouvions alors une joie véritable. Le souvenir de ce temps ne s’est pas perdu. Les jours de nostalgie, il meuble ma mémoire. Qu’est devenu mon père, au zèle méritoire? Lui qui domptait le feu, sous terre est étendu. Et ma mère, qui fut l’âme de la maison? Son souffle s’est figé dans la froide saison. __________ Couleurs de Schubert Une paupière humide qui vibre au soleil Une larme qui perle, la douleur s’endort Vibrant sanglot pluie de sel dans un bel œil d’or Blanche et triste mélopée, douleur en éveil Déchirures, longues stridences Transports de noires véhémences Gonflement dans l’écart des voix Souffles qui contiennent l’émoi Vapeurs échappées vers le ciel L’oiseau si léger bat de l’aile Tendresse acharnée, peau tendue L’esprit veut percer l’épiderme Douces rêveries éperdues Sous les horizons qui se ferment Murmures, fleurs sur les arpèges Ainsi l’âme se désagrège La molle moiteur des accords Alanguit le temps et le cœur Soudain l’instant devient torpeur Mélancolique quatuor Vie perdue, angoisse et stupeur En corps à corps avec la mort Là, une larme perle, la douleur s’endort Vibrant sanglot et pluie de sel dans un œil d’or __________ Les Parfaits Ils n’aiment pas la vie et couchent dans leur tombe. On les voit, l’air sombre, noirs de morgue et de deuil. Leur peau, d’un jaune éteint, que l’austérité plombe, Est un linceul moulé aux formes du cercueil. Et la vie s’étrangle à leur soif manichéenne. L’ivresse de la chair, l’exultation du corps, Ce que veut la Nature est la rouge géhenne. L’œuvre du Mal porte le Monde vers la mort. Ô Pureté! Illusoire éden des Cathares, Éternel récif dont ne protège aucun phare. L’Homme vers toi lance ses quêtes platoniques, Icare étourdi en ses élans frénétiques. Sans cesse ses ailes se brûlent à ce Soleil, Forme idéale qui habite son sommeil. Que ne célèbre-t-il l’origine du monde! Comme Courbet a peint sa matrice féconde. Femme! Ton sein allaite le grand univers, Et ton doux sexe, généreusement ouvert, Donne la vie en des étreintes magistrales. Non! Tes tendres morsures ne sont pas létales! __________ Contre Pascal Quand nous sommes allés au bout de nos misères, Quand nous savons très bien qu’il n`y a pas d’espoir, Alors nous chérissons ce qui nous désaltère, Tout ce qui nous arrache au destin le plus noir. Quand nous ne pouvons pas nous nourrir d`espérance, Quand nous avons perdu toute foi en l’au-delà, Nous voulons mettre enfin notre mal en vacance, Nous cherchons volontiers ce que Pascal bouda. Aussi, nous acclamons tous ces bons comédiens Qui savent, par leur art, nous séduire et distraire, Purger nos angoisses, comme des magiciens, Même donner la joie, sereine et tutélaire. Si nous aimons ainsi le divertissement, C’est que nous assumons l’anéantissement. __________ Mondes Patiente Matière, tendue dans les nervures Du Temps. Au Temps bien arrimée depuis toujours. L’avant et l’hier à l’éternel se mesurent. L’Univers infini accumule les jours. De lui-même, Il est sans cesse le créateur; Et bien avant que d’être, déjà il était. Nul puissant esprit ne fut son générateur. D’où pourrait-il tenir sa forge et ses étais? Aux étoiles en feu, la nature élémentaire Puise son carburant et ses combinaisons. Les atomes d’aujourd’hui sont ceux de naguère. Ils semblent tisser de nouvelles liaisons; Mais placés là par une secrète mémoire, Encore ils construisent des mondes aléatoires. __________ Conquête C’est un vieux démon pervers, Tout droit sorti des enfers. Ses yeux sèment l’éclair. Son dard vous perce la chair. Quand nous le voyons qui erre En dehors de sa tanière, Il cueille les fruits amers De nos vertus éphémères. Nos promesses mensongères, Nos mollesses légendaires, Sont de profondes ornières. Notre volonté s’y perd. Il connaît bien nos misères. En maître de l’univers, Facilement il conquiert Nos âmes si peu sincères. Il voit les gens ordinaires, Les escrocs, les faussaires. Il va dans les presbytères, Dans les plus beaux sanctuaires. Avec ceux qui ont souffert, Ceux que la vie désespère, Il insiste et il suggère D’achever ce long calvaire. Et quand il parcourt la terre Pour remplir les cimetières, Il vient enfoncer son fer, Sans écouter nos prières. __________